What Sort of Spirituality in 2050?

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By André Comte-Sponville, originally published as ‘Quelle spiritualité en 2050 ?’ in Le Monde des Religions, September – October 2012

In 2050, I will be 98 years old. That’s to say, in all likelihood, that I will no longer be. That puts me in a good mood to dream of a spirituality which could, if I have to live till then, satisfy me.

The first point would be that it should promise me something other than personal survival. To cling to my own dear small self, at that age or at mine now (age 60), what could be more understandable – since he’s going to die – and more derisory? I dream of a spirituality which, on the contrary, would help me to love life to the end, such as life is – unique, irreplaceable, ephemeral – then to accept death serenely, like a guest sat down again at the end of the banquet, said Lucretius, in any case without begging for whatever further pleasure or love. One never has enough? I know it well, and it’s this which perhaps gives the lie to Lucretius (such satiation is improbable, if not impossible). Let’s learn to also accept this : ultimate dissatisfaction, bitterness, regrets, remorse, nostalgia, the tearing feeling of having lived so little and so badly. Live beyond life? This is only a delusion of the ego. A spirituality worthy of its name must look higher, wider, liberate us from ourselves, as far as is possible, instead of locking us up in ourselves. What’s the use of having a spirit, which opens us to the universal, if it’s only to preoccupy us with the salvation of our tiny soul?

The second point would be that this spirituality should not limit itself to morality, neither then to humanism. ‘To make man good’, as Montaigne said, is surely an essential dimension of our existence. That won’t always be able to satisfy us. What is spirituality? The life of the spirit, especially in its relationship to the infinite, to eternity, to the absolute. Humanity is only a tiny part, which is only great by the capacity it has to know and accept this. Look at the starry sky on a clear night : it doesn’t abolish any one of our obligations but puts them in their place, in the total immensity, in time without end, in the eternal becoming. This is what we must inhabit, and the true  summit of spirituality is : our relationship, finite to the infinite, our relationship temporal to eternity, our relationship relative – clearly relative – to the absolute. The mystery, for atheists, is of immanence, rather than of transcendence, of unity rather than of encounter, spaces in the Open, as Rilke or Heidegger said, passers-by in the passageway, eternally fleeting in the eternal impermanence. Everything passes by, except the truth which is or was, which never passes : what we have lived, that, eternally, will stay true. Death will only take from us what remains, which is nothing, and will not take it to anyone, since we will no longer be.

This wisdom, which could claim descent from Heraclitus or Spinoza, has however, viewed from our perspective, something of a flavour of the Orient. But what sort of spirituality could satisfy us, today or tomorrow, which would not be open onto the world, on the plurality of beliefs, experiences, and pathways? Eclecticism? It’s for each one to judge, according to what they hold true or credible, and entirely without renouncing total coherence, total rigour, with what that presupposes, almost inevitably, selection or rejection. Tolerance is not repudiation. Eclecticism, for those who hold to it, is not confusion. The time is no longer, or rather, it must no longer be, where spiritualities wage war, each claiming to be in sole possession of the key of the Kingdom or of salvation. It’s the third point. I dream, for 2050, of a pacified spirituality, lucid, and for that, tolerant. It’s perhaps easier for the atheist, who has neither dogma nor rites to defend. Still, he must remember that atheism, unless it deceives itself, is only ever one belief amongst others, as dubious as them all. There are many dwellings in the Father’s house, including perhaps for the orphans which we all are.

French original (Le Monde des Religions, September – October 2012)

 En 2050, j’aurai 98 ans. C’est dire, selon toute vraisemblance, que je ne serai plus. Cela me met dans de bonnes dispositions pour rêver d’une spiritualité qui pourrait alors, si je devais vivre jusque-là, me satisfaire.

Le premier point serait qu’elle me promette autre chose qu’une survie personnelle. S’accrocher à son cher petit moi, à cet âge ou au mien (60 ans), quoi de plus compréhensible – puisqu’il va mourir – et de plus dérisoire ? Je rêve d’une spiritualité qui m’aiderait au contraire à aimer la vie jusqu’au bout, telle qu’elle est – unique, irremplaçable, éphémère –, donc à accepter sereinement la mort, comme un convive rassasié à la fin du banquet, disait Lucrèce, en tout cas sans quémander je ne sais quel rab de plaisir ou d’amour. On n’en a jamais assez ? Je le sais bien, et c’est ce qui donne tort à Lucrèce peut-être (le rassasiement est improbable, sinon impossible). Apprenons à accepter cela aussi : l’insatisfaction ultime, l’amertume, les regrets, les remords, la nostalgie, le sentiment déchirant d’avoir vécu si peu et si mal. Réussir sa vie ? Ce n’est qu’un leurre de l’ego. Une spiritualité digne de ce nom doit viser plus haut, plus vaste, nous libérer du moi, autant que c’est possible, plutôt que nous y enfermer. À quoi bon avoir un esprit, qui nous ouvre à l’universel, si ce n’est que pour se préoccuper du salut de sa petite âme ?

Le second point serait que cette spiritualité ne se limite pas à une morale, ni donc à l’humanisme. « Faire bien l’homme », comme disait Montaigne, est assurément une dimension essentielle de notre existence. Cela ne saurait toutefois nous suffire. Qu’est-ce que la spiritualité ? La vie de l’esprit, spécialement dans son rapport à l’infini, à l’éternité, à l’absolu. L’humanité n’en est qu’une partie infime, qui n’est grande que par la capacité qu’elle a de le savoir et de l’accepter. Regardez le ciel étoilé, par une nuit claire : cela n’abolit aucun de nos devoirs mais les met à leur place, dans le tout immense, dans le temps sans fin, dans l’éternel devenir. C’est ce qu’il s’agit d’habiter, et le vrai sommet de la spiritualité : notre rapport fini à l’infini, notre rapport temporel à l’éternité, notre rapport relatif – évidemment relatif – à l’absolu. Mystique de l’immanence, pour les athées, plutôt que de la transcendance, de l’unité plutôt que de la rencontre : ouverts dans l’Ouvert, comme disaient Rilke ou Heidegger, passants dans le passage, éternellement fugaces dans l’éternelle impermanence. Tout passe, sauf la vérité de ce qui est ou fut, qui ne passe pas : que nous ayons vécu, cela, éternellement, restera vrai. La mort ne nous prendra que le reste, qui n’est rien, et ne le prendra à personne, puisque nous ne serons plus.

Cette sagesse, qui pourrait se réclamer d’Héraclite ou de Spinoza, a pourtant, vue de chez nous, comme une saveur d’Orient. Mais quelle spiritualité pourrait nous satisfaire, aujourd’hui ou demain, qui ne serait pas ouverte sur le monde, sur la pluralité des croyances, des expériences, des cheminements ? Éclectisme ? À chacun d’en juger, selon ce qu’il tient pour vrai ou crédible, et sans renoncer pour autant à toute cohérence, à toute rigueur, avec ce que cela suppose, presque inévitablement, de choix ou de refus. La tolérance n’est pas le reniement. L’éclectisme, pour ceux qui y tendent, pas la confusion. Le temps n’est plus, en revanche, il ne doit plus être, où les spiritualités guerroient, chacune prétendant détenir seule la clé du Royaume ou du salut. C’est le troisième point. Je rêve, pour 2050, d’une spiritualité pacifiée, lucide, et pour cela tolérante. C’est peut-être plus facile pour l’athée, qui n’a ni dogmes ni rites à défendre. Encore doit-il se souvenir que l’athéisme, sauf à se mentir sur lui-même, n’est jamais qu’une croyance parmi d’autres, aussi douteuse que toutes. Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père, y compris pour les orphelins, peut-être, que nous sommes tous. ●

 

 

Originally posted 2022-07-04 10:03:00.

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